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“Pourquoi je n’ai jamais été heureux en amour” : un one man show bouleversant

Hélène Kuttner 15 décembre 2025
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© Élisa Massiah

Se saisissant de la scène comme d’un livre ouvert, le comédien Patrick Massiah se livre à cœur ouvert, depuis les rives de la Méditerranée, du Maroc et de Nice, jusqu’au cours de théâtre de Julien Bertheau qui lui a permis de renaître tel un sphinx. Entre une quête effrénée de l’amour des femmes et un grave accident qui a failli lui coûter la vie, un homme se raconte, avec humour et émotion, bonheur et drames, et c’est aussi chacun de nous qu’il s’adresse. A découvrir d’urgence.

L’exil comme naissance

Il surgit sur le plateau, et c’est une évidence que ce garçon-là, avec son regard de braise, avec ses mains qui battent l’air, va nous faire voyager dans un autre monde, une autre époque ; que le héros de cette histoire, débarrassé de tout orgueil et de tout amour propre, sera le héros de sa propre vie. Patrick Massiah, avec une délicatesse infinie dans le choix des mots, nous raconte une histoire qui est peut-être la nôtre, la vôtre, puisque la sincérité du geste artistique produit de l’universel. Dans cette auto-fiction nourrie d’Albert Cohen et de Romain Gary, un fils, au moment de l’enterrement de sa mère, s’accorde l’autorisation d’exister par lui-même. A Montpellier avec ses grands-parents, avant de rejoindre ses parents à Nice, alors que toute la famille vient de s’exiler du Maroc, le jeune garçon conjugue ses jeux d’enfants avec l’amour des filles, et celui des mots. De ces mondes rêvés puis quittés, le Maroc, Montpellier, Nice, puis Paris, de ses béances affectives, de ses chutes sentimentales et physiques, le comédien trop tôt exilé fera une matière de jeu, une farandole d’émotions qui le submergent et qu’il nous livre avec la précision maniaque d’un orfèvre, la patience inassouvie d’un amoureux assoiffé d’histoires.

Echecs et jeu

© Élisa Massiah

Et c’est ce qui est très beau dans ce spectacle, à mi-chemin entre le stand up, le monologue très écrit, la confession autobiographique et le travestissement théâtral. On ne sait plus très bien où et avec qui on est, tellement l’acteur, l’histoire qu’il raconte et le jeu qu’il entretient constamment avec le public ne font qu’un. Il faut dire que chaque épisode de la vie de l’auteur est narré avec une telle fantaisie, une telle dose d’humour et d’émotion, que l’embarquement théâtral est immédiat. D’ailleurs, le jeu, le secret et le dévoilé, l’intime et le public, sont très vite, dès l’enfance, puis à l’adolescence, mis en lumière avec une magnifique autodérision. Notre héros, avant de sombrer sur la scène au croisement d’un feu rouge et d’un feu vert, doit exister dans le miroir amoureux des baisers volés, comme dans les films de Truffaut ou les chansons de Joe Dassin ou de Françoise Hardy. On rit, on est ému, on s’amuse de ce jeune garçon transformé en mère de famille, cet adolescent qui distribue au lycée des tracts alors qu’il ne connaît rien à la politique, qui clame des mensonges éhontés à sa mère pour se défendre des calomnies subies en raison de ses clowneries. 

Don Quichotte

Notre Don Quichotte à l’accent du sud n’aura comme monture et en guise d’épée que le mot, sublime et dramatique, de Molière et de Musset, pour partir à l’assaut des moulins du monde et monter sur scène. Et quand il prend le micro, c’est pour chantonner des tubes déchirants d’émotion pour conjurer ses peines, et pour repartir de plus belle. Mais le rire, l’humour et l’autodérision, comme chez Woody Allen, restent les meilleurs antidépresseurs. Avec en bandoulière la verve théâtrale et en étendard cette flamme de vie et d’amour qui transforme la grisaille en feu follet. Alors merci cher Patrick, de n’avoir jamais été heureux en amour, mais d’avoir transformé ces échecs en bonheur du jeu, dans votre pleine et belle présence sur le plateau. “Il n’y a pas d’amour heureux” écrivait Aragon, poème mis en musique par Georges Brassens. Les mots des poètes et des artistes viennent toujours nous consoler.

Hélène Kuttner 

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